Les réserves potentielles du Liban en hydrocarbures pourraient en effet transformer le pays, et aussi servir de modèle aux autres producteurs d’énergie du Proche-Orient. Mais les autorités politiques doivent être conscientes de quatre risques majeurs. En premier lieu, les cours pétroliers et gaziers sont très instables et l’avenir des combustibles fossiles en général est flou. Les cours du pétrole et du gaz naturel ont baissé de 60 % depuis juin 2014 et il est peu probable qu’ils se rétablissent à moyen terme. Nous sommes entrés dans une ère de « nouvelle normalité », définie par une abondance de sources d’énergie de substitution.
Deuxièmement, l’étendue exploitable des réserves d’énergie du Liban n’est pas sûre. Tout aussi important, même dans le meilleur des scénarios il n’est pas certain que le pays est en mesure de gérer l’extraction, la production et la distribution pétrolière et gazière.
Troisièmement, les tensions territoriales constantes dans la région — et l’absence de frontières maritimes reconnues avec Chypre, Israël et la Syrie — créent un flou juridique quant à la propriété et aux droits d’exploitation de certains blocs pétroliers et gaziers.
Quatrièmement, les dirigeants du Liban doivent venir à bout d’une vie politique dysfonctionnelle et de la réputation peu enviable de son administration publique, qui risquent d’aller à l’encontre des efforts de gestion transparente et pérenne de ses ressources naturelles.
La question est donc de savoir si le Liban est doté des moyens pour échapper à la malédiction de « l’excrément du diable » qui a tant affligé ses voisins du Proche-Orient.
Les estimations du Fonds monétaire international de la rente pétrolière et gazière potentielle du Liban reposent sur l’hypothèse optimiste que l’exploitation débutera en 2021, que la production atteindra le sommet en 2036 et que le gisement sera tari après 2056. Dans ce scénario, une fois la production lancée, la rente des ressources constituerait environ 2,8 % du PIB du Liban excluant les revenus pétroliers, et compterait pour environ 9 % des recettes fiscales à son pic de production, avant la baisse graduelle.
Même si les blocs pétroliers et gaziers sont mis aux enchères très prochainement, en 2017 et que l’exploration aboutit à des gisements, les revenus d’exploitation n’arriveront pas avant 2022 au plus tôt. Il est donc possible que la manne providentielle ne tombe jamais sur le Liban.
Entre-temps, les nouveaux dirigeants du Liban doivent régler la situation budgétaire précaire de l’État, dont le déficit budgétaire de 2016 qui s’élève à 8,1 % du PIB et le niveau de la dette publique à hauteur de 144 % du PIB — l’un des taux d’endettement public les plus élevés dans le monde. Ceci implique que le Liban doit suivre le plus tôt possible un régime budgétaire rigoureux et qu’il devra utiliser un taux élevé d’actualisation des redevances pétrolières et gazières futures pour ses prévisions budgétaires.
La gestion des affaires publiques du Liban demeure cependant le problème le plus épineux, car le pays doit maintenant se donner les moyens de gérer sa richesse dans les règles de l’art. Les autres pays nantis en ressources peuvent donner l’avertissement suivant : nonobstant une bonne régie interne — des institutions établies, un État de droit, des réglementations bien conçues —, il y a tout lieu de croire que la manne pétrolière du Liban aggravera la corruption, car les intérêts privés et les politiciens voudront s’approprier la rente.
La politique libanaise étant toujours embourbée dans un marasme permanent, la nouvelle administration doit mettre sur pied un régime budgétaire fondé sur des assises plus solides et un cadre des affaires rigoureux assurant la transparence dans l’exploitation et la production d’énergie, la viabilité des finances publiques et l’équité intergénérationnelle. Elle peut y parvenir si elle emprunte la bonne voie.
Premièrement, pour que les ressources naturelles du Liban soient gérées dans la rigueur, il serait utile que l’État libanais adhère officiellement à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives. L’EITI exige des agences publiques et des sociétés qu’elles révèlent des renseignements relatifs à l’extraction et à la production d’hydrocarbures. Ceci comprend les contrats et les licences d’exploitation ; les modalités de vente aux enchères et d’octroi des blocs et des droits d’exploration et d’exploitation ; les chiffres relatifs aux recettes pour s’assurer que les sociétés respectent le principe de « divulgation des contrats » ; les évaluations des incidences environnementales (des plateformes en mer et des puits sur terre) ; et les rapports sur l’utilisation des redevances par l’État.
Deuxièmement, le Liban devrait adopter officiellement la Charte des ressources naturelles. Les 12 préceptes de la charte servant de guide aux décisions des parties prenantes devraient être intégrés aux législations et réglementations en vigueur relevant de l’État, du parlement et des agences réglementaires, de la société civile du pays et de parties intéressées comme l’Initiative pétrolière et gazière du Liban.
Troisièmement, le Liban devrait mettre sur pied un organisme de réglementation indépendant du secteur de l’énergie, en rendant l’Administration pétrolière libanaise indépendante du ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques et en élargissant son mandat de gestion des ressources naturelles du Liban. Il faut que cet organisme soit distinct et indépendant du ministère afin de protéger les gestionnaires et les instances responsables des ressources naturelles de toute ingérence du politique.
Finalement, le Liban devrait adopter un cadre juridique appliquant des balises à long terme sur les politiques budgétaires. En particulier, le niveau des dépenses publiques devrait être déterminé en fonction d’une estimation des revenus permanents (comprenant une contribution viable de la rente de ressources), tandis que les revenus cycliques seraient placés dans un fonds souverain. Suivant les précédents bien connus du Chili et de la Norvège, une telle règle prévoit de systématiquement mettre de côté les surplus réalisés lorsque les prix de l’énergie sont élevés, et de fixer les dépenses publiques en fonction des recettes fiscales modulées cycliquement et d’une part de la rente énergétique.
Les enjeux sont élevés pour le Liban. Ce pays en crise situé dans une région tumultueuse pourrait connaître une véritable métamorphose grâce à une gestion saine et efficace de ses réserves pétrolières et gazières prévues. Ou il pourrait succomber à la malédiction, qui consacrerait le gaspillage, le népotisme, la corruption et l’inégalité qui règnent au pays.
Les réserves pétrolières et gazières du Liban appartiennent à tous les citoyens, actuels et futurs. Si les nouveaux élus fondent leurs décisions sur un consensus national — dans un cadre de fonctionnement du pays qui assure la transparence, la divulgation et l’obligation de rendre des comptes —, la malédiction disparaîtra d’elle-même. Et les autres pays de la région pourraient voir qu’un tel succès vaut la peine d’être émulé.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Nasser Saïdi, ex-économiste en chef du Centre financier international de Dubaï, ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban a aussi été ministre de l’Économie et de l’Industrie du Liban. Il est l’auteur, plus récemment, du rapport de l’OCDE Corporate Governance in the MENA Countries (La responsabilité sociale des entreprises au Proche-Orient et en Afrique du Nord).
Deuxièmement, l’étendue exploitable des réserves d’énergie du Liban n’est pas sûre. Tout aussi important, même dans le meilleur des scénarios il n’est pas certain que le pays est en mesure de gérer l’extraction, la production et la distribution pétrolière et gazière.
Troisièmement, les tensions territoriales constantes dans la région — et l’absence de frontières maritimes reconnues avec Chypre, Israël et la Syrie — créent un flou juridique quant à la propriété et aux droits d’exploitation de certains blocs pétroliers et gaziers.
Quatrièmement, les dirigeants du Liban doivent venir à bout d’une vie politique dysfonctionnelle et de la réputation peu enviable de son administration publique, qui risquent d’aller à l’encontre des efforts de gestion transparente et pérenne de ses ressources naturelles.
La question est donc de savoir si le Liban est doté des moyens pour échapper à la malédiction de « l’excrément du diable » qui a tant affligé ses voisins du Proche-Orient.
Les estimations du Fonds monétaire international de la rente pétrolière et gazière potentielle du Liban reposent sur l’hypothèse optimiste que l’exploitation débutera en 2021, que la production atteindra le sommet en 2036 et que le gisement sera tari après 2056. Dans ce scénario, une fois la production lancée, la rente des ressources constituerait environ 2,8 % du PIB du Liban excluant les revenus pétroliers, et compterait pour environ 9 % des recettes fiscales à son pic de production, avant la baisse graduelle.
Même si les blocs pétroliers et gaziers sont mis aux enchères très prochainement, en 2017 et que l’exploration aboutit à des gisements, les revenus d’exploitation n’arriveront pas avant 2022 au plus tôt. Il est donc possible que la manne providentielle ne tombe jamais sur le Liban.
Entre-temps, les nouveaux dirigeants du Liban doivent régler la situation budgétaire précaire de l’État, dont le déficit budgétaire de 2016 qui s’élève à 8,1 % du PIB et le niveau de la dette publique à hauteur de 144 % du PIB — l’un des taux d’endettement public les plus élevés dans le monde. Ceci implique que le Liban doit suivre le plus tôt possible un régime budgétaire rigoureux et qu’il devra utiliser un taux élevé d’actualisation des redevances pétrolières et gazières futures pour ses prévisions budgétaires.
La gestion des affaires publiques du Liban demeure cependant le problème le plus épineux, car le pays doit maintenant se donner les moyens de gérer sa richesse dans les règles de l’art. Les autres pays nantis en ressources peuvent donner l’avertissement suivant : nonobstant une bonne régie interne — des institutions établies, un État de droit, des réglementations bien conçues —, il y a tout lieu de croire que la manne pétrolière du Liban aggravera la corruption, car les intérêts privés et les politiciens voudront s’approprier la rente.
La politique libanaise étant toujours embourbée dans un marasme permanent, la nouvelle administration doit mettre sur pied un régime budgétaire fondé sur des assises plus solides et un cadre des affaires rigoureux assurant la transparence dans l’exploitation et la production d’énergie, la viabilité des finances publiques et l’équité intergénérationnelle. Elle peut y parvenir si elle emprunte la bonne voie.
Premièrement, pour que les ressources naturelles du Liban soient gérées dans la rigueur, il serait utile que l’État libanais adhère officiellement à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives. L’EITI exige des agences publiques et des sociétés qu’elles révèlent des renseignements relatifs à l’extraction et à la production d’hydrocarbures. Ceci comprend les contrats et les licences d’exploitation ; les modalités de vente aux enchères et d’octroi des blocs et des droits d’exploration et d’exploitation ; les chiffres relatifs aux recettes pour s’assurer que les sociétés respectent le principe de « divulgation des contrats » ; les évaluations des incidences environnementales (des plateformes en mer et des puits sur terre) ; et les rapports sur l’utilisation des redevances par l’État.
Deuxièmement, le Liban devrait adopter officiellement la Charte des ressources naturelles. Les 12 préceptes de la charte servant de guide aux décisions des parties prenantes devraient être intégrés aux législations et réglementations en vigueur relevant de l’État, du parlement et des agences réglementaires, de la société civile du pays et de parties intéressées comme l’Initiative pétrolière et gazière du Liban.
Troisièmement, le Liban devrait mettre sur pied un organisme de réglementation indépendant du secteur de l’énergie, en rendant l’Administration pétrolière libanaise indépendante du ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques et en élargissant son mandat de gestion des ressources naturelles du Liban. Il faut que cet organisme soit distinct et indépendant du ministère afin de protéger les gestionnaires et les instances responsables des ressources naturelles de toute ingérence du politique.
Finalement, le Liban devrait adopter un cadre juridique appliquant des balises à long terme sur les politiques budgétaires. En particulier, le niveau des dépenses publiques devrait être déterminé en fonction d’une estimation des revenus permanents (comprenant une contribution viable de la rente de ressources), tandis que les revenus cycliques seraient placés dans un fonds souverain. Suivant les précédents bien connus du Chili et de la Norvège, une telle règle prévoit de systématiquement mettre de côté les surplus réalisés lorsque les prix de l’énergie sont élevés, et de fixer les dépenses publiques en fonction des recettes fiscales modulées cycliquement et d’une part de la rente énergétique.
Les enjeux sont élevés pour le Liban. Ce pays en crise situé dans une région tumultueuse pourrait connaître une véritable métamorphose grâce à une gestion saine et efficace de ses réserves pétrolières et gazières prévues. Ou il pourrait succomber à la malédiction, qui consacrerait le gaspillage, le népotisme, la corruption et l’inégalité qui règnent au pays.
Les réserves pétrolières et gazières du Liban appartiennent à tous les citoyens, actuels et futurs. Si les nouveaux élus fondent leurs décisions sur un consensus national — dans un cadre de fonctionnement du pays qui assure la transparence, la divulgation et l’obligation de rendre des comptes —, la malédiction disparaîtra d’elle-même. Et les autres pays de la région pourraient voir qu’un tel succès vaut la peine d’être émulé.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Nasser Saïdi, ex-économiste en chef du Centre financier international de Dubaï, ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban a aussi été ministre de l’Économie et de l’Industrie du Liban. Il est l’auteur, plus récemment, du rapport de l’OCDE Corporate Governance in the MENA Countries (La responsabilité sociale des entreprises au Proche-Orient et en Afrique du Nord).